J’analyserai ici certaines différences et similitudes entre les films The Queen of Spades (1910) de Petr Chardynin et The Queen of Spades (1916) de Iakov Protazanov.
La différence la plus frappante entre les deux versions est le grand contraste entre l’esthétique de caméra de celui de 1910 comparativement à celui de 1916. Le Queen of Spades de 1910 est filmé de manière beaucoup plus théâtrale, les rares coupures n’ayant lieu que lors des changements de scènes. La caméra, placée directement en face du décor de chaque scène, immobile, ne fait qu’enregistrer les événements se déroulant autour, les personnages entrant et sortant du cadre. Il n’y a pratiquement aucun montage. Dans celui de 1916, le réalisateur utilise un langage purement cinématographique, se servant amplement du montage pour raconter son histoire. De plus, ses plans se passent à des distances de son sujet et à divers angles, à l’inverse du statisme dans l’image du film de Chardynin. On discerne ici l’influence de D.W. Griffith, reconnu pour avoir rapproché la caméra de ses acteurs afin de capturer de subtiles expressions faciales.
Les acteurs présentent un autre élément de contraste. Leur jeu dans le film de 1910 est démesuré et inutilement grossi, nécessaire, on peut l’imaginer, afin de rendre compréhensible l’histoire aux spectateurs. Leurs mouvements grandioses nous permettent alors de suivre l’histoire sans avoir à être grandement soutenu par une quelconque narration (que l’on utilisera tout de même dans le film, mais de façon très minime, sous forme d’intertitres). Dans le film de 1916, les acteurs auront moins à exagérer leurs mouvements et adopteront plutôt une méthode réaliste. Protazanov utilise des plans plus proches de ses acteurs afin qu’on voie les émotions des personnages au lieu qu’ils aient à les illustrer. De plus, les deux versions utilisent différentes techniques dans la réalisation des effets spéciaux que nécessite l’histoire. Dans le film de Chardynin, le réalisateur utilise le montage pour opposer German au fantôme de sa victime et se voir révéler son secret. Par la superposition de deux instances filmiques, une sans la comtesse et une où elle est présente, Chardynin représente l’apparition fantomatique à laquelle est confrontée German. Dans la version de Protazanov, les visions de German sont, en grande partie, générées par un processus d’image sur image, ce qui est une représentation plus réaliste d’une apparition. Une divergence frappante entre les deux films est l’écart entre les deux directions artistiques. Dans le film de Chardynin, il établit clairement la position sociale de ses personnages en nous positionnant dans une cour bourgeoise russe du 19e siècle, à l’aide de la scène et des costumes. Les décors, baroques et théâtraux, nous permettent instantanément de nous situer dans le temps et dans l’espace, un aspect très important de la réception du film par le spectateur du fait de sa courte durée. Dans le film de Protazanov, les décors et les costumes, minimalistes et modestes, nous apportent beaucoup moins d’informations. Les costumes, quoique distingués, font peu penser à la haute société russe à cause de leur subtilité. De cette perspective, le film de Chardynin est beaucoup plus chargé que celui de Protazanov.