Essais

Twin Peaks: Fire Walk With Me (David Lynch, 1992)

Le film Twin Peaks : Fire walk with me de David Lynch comprend une mise-en-scène intéressante d’un comportement borderline, à cheval entre la névrose et la psychose. Comment ce comportement se dévoile-t-il dans le film? Laura Palmer est-elle plus névrotique que psychotique ou l’inverse? Comment ses souffrances influencent-elles sa réalité? Arrive-t-elle à se forger une identité?

La névrose et la psychose

La névrose et la psychose sont des termes qui existent depuis quelques siècles, mais malgré les avancements de la psychanalyse, leurs mécanismes sont encore mystérieux pour la plupart des gens et pour les scientifiques.

Dans le film, Laura Palmer est en proie à des problèmes mentaux causés par des traumatismes qui persistent depuis son enfance.

Dans la première partie du film où on suit Laura Palmer, Laura Palmer souffre d’une névrose. Traumatisée par son passé, les souvenirs refoulés dans son inconscient refont surface. Mais avant de réaliser que son père est son agresseur, le personnage passe par une multitude de symptômes qui témoignerait d’une névrose.

Bien que Laura présente des symptômes qui seraient caractéristiques de névroses obsessionnelles et phobiques, il semble y avoir une dominance de symptômes qui se rapprocheraient de la névrose post-traumatique. On définit celle-ci comme étant des troubles présentés par des victimes de traumatismes psychologiques graves (guerre, catastrophe naturelle, attentat, agression, etc.) qui apparaissent après un certain temps de latence variable, de quelques heures à plusieurs mois. Une blessure ou une répétition des faits augmente la fréquence de la névrose post-traumatique. On peut dire qu’une répétition d’agression sexuelle dès l’âge de douze ans, surtout par son propre père, cacherait un traumatisme assez puissant, qui face à l’incapacité de le gérer émotionnellement, de le comprendre et face à l’impossibilité d’y échapper, serait automatiquement refoulé vers l’inconscient, entraînant des dépressions majeures.

Les signes spécifiques dominants se manifestent par un débordement émotionnel et par des phénomènes de répétitions. Laura a, à plusieurs reprises, d’intenses accès de tremblements (surtout au niveau de la bouche nous renvoyant à l’oralité), des crises de larmes et des décharges agressives. On remarque que ces symptômes apparaissent surtout durant des rencontres affectives, par exemple, lorsqu’elle rencontre James à l’école et qu’elle l’embrasse. Elle subit alors une crise émotionnelle où on note en effet des tremblements, des crises de larmes, lapsus, etc. C’est comme si elle ne peut ressentir de plaisir qu’elle se sent comme un objet sexuel qui ne mérite pas d’être aimé. On sent alors un immense sentiment de culpabilité de la part de Laura.

Un autre symptôme fort caractéristique de cette névrose se rapporte à l’apathie. Le meilleur exemple de ceci serait lorsque Bobby abat le policier dans le bois. Non seulement est elle est complètement indifférente face au sort du policier, elle trouve la situation comique. En plus, elle est complètement indifférente face aux conséquences que pourrait entraîner cet acte vers Bobby, mais aussi vers elle-même. Il est aussi intéressant de voir l’agressivité de Laura envers Bobby à la sortie de l’école, puis sa régression subite en séductrice infantile. À ce moment, elle voit Bobby (figure d’autorité qui la fournit en cocaïne) comme son père. Elle a besoin de lui pour combler un manque psychologique, et elle agit comme une petite fille. On pourrait ici parler du complexe d’Électre, le complexe d’Œdipe féminin. L’échec du complexe chez Laura entraîne une incapacité de se former une identité propre.

D’autres signes de cette névrose se manifestent par des rêves (ou cauchemars) récurrents, mais ces rêves semblent forcer les éléments refoulés de son inconscient à refaire surface. C’est comme si elle se faisait sa propre thérapie psychanalytique, car c’est les personnages de ses rêves qui l’avertissent qu’un homme est dans sa chambre, ce qui mènera finalement à la découverte que c’est son père qui était là.

La psychose de Laura fait surtout apparition du moment où elle commence à réaliser que derrière Bob se cache en réalité son père. L’un des signes d’une psychose est l’immobilité du corps, qu’on remarque chez Laura lorsqu’elle est assise à la table avec ses parents. Ceci manifeste l’effet d’effroi qu’elle vit dans son Moi, car c’est cette charge affective au pouvoir explosif qui lui impose cette immobilité. Elle semble figée, incapable de bouger, on dirait qu’elle ne veut pas montrer signe de vie; on sent aussi un silence dont la lourdeur semble peser sur Laura alors que sa mère la regarde; puis on voit que le regard de Laura semble être tourné vers elle-même, vers son intérieur, dû à une image qui la menace et qui lui fait peur… l’image de son père.

On dit des personnes souffrant d’une psychose qu’ils ont recours au délire pour se protéger. On peut parler chez Laura d’un recours au délire hallucinatoire. Elle s’est inventé Bob pour se protéger contre son incapacité à gérer les évènements traumatisants qui l’affligent. Elle fuit par le fantasme, mais celui-ci semble faire échec puisqu’il est très déplaisant. Bob est un vieux sale et il est évident que Laura n’apprécie guère son intrusion. Cependant, son inconscient ne lui permet pas de se défendre, car l’image de Bob dans son lit est bien mieux que celle de son père.

Bien qu’on parlait au début d’une névrose chez Laura, on pourrait peut-être suggérer une psychose tout au long du film, car on a peu à peu l’impression que le film entier est un rêve (ou cauchemar), ou même un fantasme de Laura qui fait échec… et à l’extrême, un rêve ou fantasme qui réussit, par la mort de Laura, qui serait la seule issue.

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Eric Lafalaise communique principalement en écrivant et en racontant des histoires. Il contribue au blog de cinéma Kinoreal et est producteur pour Les Studios de la Marque Rouge, artiste, photographe, friand de technologie et passionné d'intelligence.
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