Lynch montre la sortie de Diane de son fantasme par un mouvement de caméra à travers les couloirs sinueux de l’appartement, après un départ difficile hors du fantasme (la force du refoulement représenté par la transition, disparition et réapparition successives du fantasme, entre le fantasme et la réalité), jusqu’à son corps, couchée en position fœtale sur son lit. Le corps en putréfaction laisse lieu au corps vivant de Diane. Après la visite de sa voisine, elle imagine Camilla qui disparaît aussitôt que Diane se rend compte que sa présence est impossible puisqu’elle est morte.
Diane prend son café et se dirige vers son divan où elle imagine encore Camilla, nue cette fois, ce qui déclenche une série de retour en arrière qui clarifiera la relation entre les personnages. Diane, devenue nue, tente de faire l’amour à Camilla, mais celle-ci la rejette. « C’est à cause de ce mec », lance-t-elle à Camilla, furieuse, ce qui mène à un autre retour en arrière. Sur un plateau de tournage, le réalisateur (Justin Théroux) montre à un acteur comment il lui faudra embrasser Camilla, devant le regard jaloux de Diane, impuissante. Il se soustrait même à ce regard lorsqu’il demande de fermer toutes les lumières sur le plateau. Le retour en arrière suivant vient montrer le point où était rendue la relation entre Camilla et Diane. Diane empêche Camilla de pénétrer en lui claquant la porte au nez, ce qui met fin au retour en arrière. Diane, sur son divan, tente de soulager ces affects qui l’assaillent en se masturbant.
Le bruit du téléphone déclenche un autre retour en arrière où elle rejoint Camilla à une réception. La limousine qui l’y conduit s’insinue à travers Mulholland Drive comme au générique montrant comment Diane peuplait son fantasme de bribes de réalité. Camilla vient l’accueillir et l’accompagne en haut de l’escalier. Lynch en profite pour montrer l’attachement de Diane pour Camilla par un ensemble de plans de Diane et de caméras subjectives sur Camilla. Plus tard à table, Diane raconte comment elle a perdu un rôle que Camilla a gagné et que depuis elle vit sous son ombre. Une femme vient parler à Camilla et l’embrasse devant Diane. Le réalisateur déclare ensuite que lui et Camilla vont se marier, sous le regard envieux de Diane.
Une vaisselle cassée assure la transition vers un autre retour en arrière où elle rencontre le tueur de son fantasme et lui demande visiblement d’assassiner Camilla. Elle décide de reprendre un pouvoir sur Camilla, déterminant sa mort. Le rêveur de son fantasme la regarde, semblant la juger. Le tueur lui laisse une clé bleue qu’elle est en train d’observer lorsque le retour en arrière finit. La scène suivante nous ramène derrière le Winkie’s, le monstre tenant un sac de papier en main. Lâchant le sac par terre, le vieux couple, miniaturisé, en sort pour ensuite pénétrer chez Diane en passant sous sa porte. Diane entend frapper à sa porte et se retourne. On entend dans la bande-son le cri de Diane semblant se rapprocher jusqu’au plan où elle crie, assaillie non seulement par les deux vieillards, mais aussi par la police qui semble frapper à la porte. Sous le poids de leur jugement, de leurs espérances trahies, Diane, incapable de réconcilier son acte ignoble, attrape son arme dans sa table de nuit et se suicide, son âme s’échappant sous forme de fumée comme le croyaient certains Indiens. Diane n’arrive pas à réconcilier la femme qu’elle était et celle qu’elle est devenue.
Freud pensait qu’il y avait deux états problématiques à chaque individu, le caractère triangulaire du complexe d’Œdipe et la bisexualité constitutionnelle de chaque individu. Dans Mulholland Drive, ce sont ces deux aspects qui contribuent à la ruine de Diane. Mais, en montrant par surimpression sur les lumières de Los Angeles, suivant cette déchéance, l’autre Diane, celle naïve et innocente, Lynch semble empathique à la situation qu’a traversée Diane, reléguant toute la responsabilité de son destin sur la société qui l’a corrompue, la société hollywoodienne, sur laquelle il superpose l’image lumineuse de Diane. N’est-ce pas un point de vue moralisateur, différent, mais proche de celui de Lost Highway où la punition d’Eddie était le moteur du film? Le point de vue de Lynch est édifiant, Mulholland Drive servant de conte avertisseur. Mais, caché sous une structure aussi complexe, le message sera-t-il perçu?
LECLERC, S.: Métaphores et allégories dans le cinéma, Notes de cours, Université du Québec à Montréal, Hiver 2003.
FREUD, Sigmund : The ego and the id, W.W. Norton & Company, New York, 1960, 1962.
JEANNEAU, DR. A.: Initiation à la psychanalyse, Beauchesne, Paris, 1965.
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