En plus des considérations esthétiques que l’on peut avancer sur les deux films, il y en a plusieurs narratives. Les deux films étant une adaptation de la même nouvelle, La Dame de Pique (1838) d’Alexander Pushkin, leur histoire reste fondamentalement la même. Mais l’interprétation par les deux réalisateurs procure aux deux films deux atmosphères totalement distinctes. Le film de Chardynin, de par sa mise en scène entre autres, dégage une certaine atmosphère onirique, fantasmagorique, beaucoup plus abstraite que le film de Protazanov. Hanté par sa victime, German, ruiné, se suicide. Sa mort est définitive. Dans le film de Protazanov, German succombe à la folie, terrassé par la comtesse. C’est une mort vivante, à l’opposé de l’autre. Les deux sont des castrations symboliques des personnages principaux, mais là où la première en est une du corps, la seconde en est une de l’esprit. Cette opposition est un élément qui vient confirmer le penchant irréel du film de Chardynin et celui réaliste du film de Protazanov.
Les deux sont des récits moralistes, quoiqu’on ne puisse qualifier leurs morales d’identiques. Pour le personnage principal, le châtiment est le même : la cupidité amène la mort, qu’elle soit physique ou mentale. Mais, le sort de Liza dans les deux œuvres conduit à une divergence. Dans le film de Chardynin, elle est abusée puis laissée pour compte par German, ce qui mène à son suicide. Cette situation est plus dramatique (mélodramatique?) que celle de la Liza de Protazanov. La naïveté est-elle un péché au même degré que la cupidité? Elle mène, de toute façon, à la même fin.
Les nombreuses différences entre les deux films n’en permettent qu’un survol dans cette analyse comparative. Un élément discordant entre les deux films serait l’abstraction dans le premier à l’opposé du réalisme du second. Scott McCloud, dans son livre Understanding Comics, déclare : « En simplifiant une image à sa signification primaire, un artiste peut amplifier cette signification d’une façon qui échappe à l’art réaliste. » L’abstraction du film de Chardynin (nombre limité d’intertitres, jeu des acteurs) permet donc une identification plus efficace et constante que celui de Protazanov. Cependant, dans son usage du langage cinématographique, le second facilite l’immersion du spectateur dans le récit (plus grand nombre de personnages, plus grande caractérisation). Les deux représentent de façon très efficace l’évolution du cinéma national russe dans le sujet autant que dans la forme, un cinéma inséré dans une nouvelle industrie en pleine croissance.
MCCLOUD, Scott: Understanding Comics: The invisible art, Paradox Press, New York, 2000.
BORDWELL, D.; THOMPSON, K.: Film Art: An introduction, McGraw-Hill, 1997.
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