Essais

Trinité féminine dans La Matrice

J’étudierai ici le personnage féminin principal, Trinité, dans le film La Matrice (1999) d’Andy et Larry Wachowski.

Dans le dogme judéo-chrétien, le nom Trinité renvoie à la Sainte Trinité, l’union du Père, du Fils et du Saint-Esprit dans un seul et même être. Le personnage de Trinité dans La Matrice représente, on pourrait dire, une sorte de trinité féminine. Toutes les différentes incarnations de la femme dans l’unité familiale se retrouvent en elle à un moment ou un autre au cours du film. Elle est tantôt, mère, tantôt fille, tantôt femme et tente de son mieux de concilier ces différents aspects de sa personnalité.

Trinité, la fille

Tel que le personnage de Tank le déclare durant le film, Morphéus, le leader de leur équipe, est la figure paternelle du groupe. Le personnage de Trinité joue donc le rôle de fille préférée. Une scène fait bien état de cette tranche de sa personnalité.

Au début du film, elle est prise à l’intérieur d’un motel miteux, Heart O’ The City Motel. Doutant de sa capacité d’échapper à la situation, malgré l’aise et l’habileté avec laquelle elle se débarrasse de deux unités de policiers armés, elle appelle Morphéus pour lui exposer la situation. Tel un père, Morphéus l’encourage à ignorer sa peur et à atteindre la prochaine sortie :

Tu peux y arriver, Trinité.

Morphéus

Armée du support de son mentor, Trinité vainc sa peur et se fraie un chemin jusqu’à la cabine téléphonique d’où elle quitte la Matrice.

Elle est le bras droit de Morphéus, ses yeux, ses mains, l’extension de celui-ci. C’est elle qu’il envoie surveiller Néo au début, le rencontrer au club où il envoie Néo et lorsqu’il se fait arrêter par les agents à son travail. Elle le représente à l’intérieur de la Matrice. C’est elle qu’on envoie aller récupérer Néo et qui le présente à Morphéus.

Lorsque l’agent Smith est sur le point de capturer Néo, Morphéus se sacrifie pour lui et ordonne à Trinité de s’enfuir avec Néo. Celle-ci, hésitante d’abord, est convaincue que c’est la bonne action à prendre et elle s’échappe avec Néo.

Sa foi en Morphéus est inébranlable. Cypher essaie de l’assaillir à différentes reprises pour tester sa confiance en Morphéus. Après qu’elle ait apporté de la nourriture à un Néo endormi, Cypher l’interpelle et attaque sa croyance en Morphéus et ses idéaux. Mais Trinité ne fléchit pas; elle sait que Morphéus a raison et qu’elle a raison de croire en lui :

Il l’amènera voir l’oracle lorsqu’il sera prêt.

Trinité

Plus tard, Cypher s’empare du Nébucadnetzar par traîtrise et veut lui forcer à nier Morphéus en menaçant la vie de Néo. Malgré ce qu’elle a à perdre, il lui est impossible de renier Morphéus et elle refuse. La vie de Néo est tout de même épargnée et sa foi en Morphéus justifiée.

Trinité, la mère

Autant Morphéus adopte la place paternelle de l’équipe de hors-la-loi, Trinité adopte celle de figure maternelle au reste du groupe. Elle se tient toujours aux côtés de Morphéus lors de l’introduction de Néo au monde réel. De plus, c’est elle qui prend soin de lui, de la même façon, on peut supposer qu’elle a pris soin des autres lorsqu’ils étaient dans la même situation. En cette capacité, elle exerce un certain pouvoir sur les autres membres de l’équipe et ils obéissent aux ordres qu’elle dispense avec fermeté.

Après la capture de Morphéus par l’agent Smith, elle prend le commandement et dirige l’équipe vers la prochaine sortie. On voit bien qu’elle adopte naturellement la tête du groupe en l’absence de Morphéus.

De plus, lorsque Cypher assassine Epoch et Switch, on voit l’émotion qu’elle exhibe. C’est de la frustration qu’on décèle en elle, impuissante à arrêter Cypher. Mais, c’est plus que le fait d’avoir perdu des camarades; elle se sent responsable d’eux. Lorsqu’elle retourne sur le vaisseau après l’incident Cypher, elle demande à Tank, resté sur le vaisseau, le sort de son frère, Dozer. À son expression, elle comprend qu’il est mort et tente de le réconforter en le prenant dans ses bras.

Trinité, la femme

Andy et Larry Wachowski, les deux réalisateurs, dans la scène d’ouverture du film, jouent avec l’attente du spectateur de la femme au cinéma. Le lieutenant de police chargé de la capturer la sous-estime et la ridiculise en la considérant indigne de toute son attention :

Je pense que nous saurons nous occuper d’une petite fille.

Lieutenant

Le spectateur est comme le lieutenant, non conscient des aptitudes de la « petite fille » et s’attendant à l’interminable femme en détresse des films hollywoodiens. Mais les agents savent ce que nous ne savons pas encore et nous apprêtons à apprendre : Trinité n’est pas une femme en détresse attendant son prince charmant :

Vos hommes sont déjà morts.

Agent Smith (parlant de Trinité au lieutenant)

Cette déclaration prend le spectateur par surprise. Il ne comprend vraiment qu’en voyant Trinité en action. Alors, le spectateur est conscient de la puissance de Trinité, dont la perception passe de la victime à l’amazone, la guerrière.

Elle n’arrête jamais d’exhiber des caractères féminins, malgré le fait qu’elle exhibe aussi des traits souvent associés aux hommes (agressivité, violence). Lors de la première rencontre de Trinité et de Néo dans le club, elle attise la curiosité de Néo en utilisant ses charmes féminins, se rapprochant de lui et lui parlant doucement à l’oreille.

Cette féminité lui attire les avances de son coéquipier, Cypher, pour qui elle est un objet de convoitise. Dès le début du film, lorsqu’on entend les deux parler au téléphone, Cypher est jaloux de Trinité et Néo. Plus tard sur le Nébucadnetzar, lorsque Trinité apporte un dîner à Néo, Cypher montre ses vraies couleurs :

Je ne me rappelle pas que tu m’aies jamais apporté à manger.

Cypher

Plus tard, lorsqu’il trahit le groupe, Cypher, penché sur le corps inerte de Trinité, lui avoue ses sentiments. Il la punit d’avoir refusé ses avances en tuant les membres de son équipe l’un après l’autre devant elle. Mais, même sous la menace, elle refuse et montre que quoi qu’il fasse, elle ne sera jamais sa victime.

Jo Croissant, dans son livre La femme sacerdotale, écrit : « La puissance de l’homme ne peut se réaliser que dans la femme ». Quoiqu’une grande généralisation, ceci peut s’appliquer à La Matrice. C’est l’amour de Trinité pour Néo qui lui permet d’atteindre son plein potentiel. Trinité adopte donc le rôle de l’amante. L’oracle annonce l’événement en déclarant à Néo qu’être l’élu est comme être amoureux; on le sait.

À l’intérieur d’une voiture, en route pour rencontrer Morphéus pour la première fois, elle empêche Néo de s’en aller du véhicule, d’un regard de compassion. Il s’établit un rapport entre les deux. C’est à elle qu’il s’adresse lors de la venue des sentinelles afin qu’il comprenne ce qui se passe. Elle lui apporte un dîner après sa séance d’entraînement. C’est elle qui s’occupe de l’attacher à l’appareil qui le sortira de la Matrice et à celui qui le téléchargera dans le programme d’entraînement.

Lorsqu’il décide de sauver Morphéus, elle l’accompagne, afin de veiller sur lui. Sur le toit de l’immeuble où on retient leur mentor, Néo lui demande de l’aide à Trinité avant d’éviter les balles d’un agent. Même s’il ne sait pas encore, c’est leur amour qui lui permet de puiser en lui afin d’accomplir cet exploit. De même lorsque Trinité est sauvé de l’hélicoptère en chute par Néo. Mais, ce n’est que lorsque les deux réalisent leur amour l’un pour l’autre, lorsque Trinité se confie à Néo, que celui-ci atteint son plein potentiel et qu’il est possible pour le héros de détruire son antagoniste.

Trinité remplit les rôles de fille, mère et femme au cours du film. Il est intéressant de remarquer que, contrairement à ce qui est attendu, les rôles sont ici inversés. C’est elle qui sauve Néo, en détresse, car battu par les agents, et qui lui infuse la force et le courage de vaincre son ennemi. C’est une inversion des rôles fascinante comparée à la belle en détresse à l’usage des films hollywoodiens.

Autant La Matrice inocule au cinéma populaire une énergie nouvelle, le personnage de Trinité apporte autant à notre conception du personnage féminin dans un film d’action, de science-fiction et à grand public.


Bibliographie

GANS, Christophe : La révolution Matrix, mode d’emploi, Première no. 268, p.88-93, Hachette Filipacchi Associés, France, juillet 1999.

http://archives.his.com/water-l/msg00325.html (Lien brisé)

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Eric Lafalaise communique principalement en écrivant et en racontant des histoires. Il contribue au blog de cinéma Kinoreal et est producteur pour Les Studios de la Marque Rouge, artiste, photographe, friand de technologie et passionné d'intelligence.
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