J’ai eu le privilège d’assister à la présentation du film haïtien Kafou dans le cadre du 34e Festival Vues d’Afrique et je dois avouer que le film est un tournant dans le cinéma haïtien. Il y a dans le film une volonté de changement, un effort de décrier les abus de la société haïtienne, de faire honneur à notre culture et de l’intégrer à notre cinéma, et de noter pour la postérité les réalités contemporaines en Haïti.
Réalisé par Bruno Mourral, le film met en scène deux acolytes dont la mission consiste à livrer un véhicule en suivant trois directives claires. La violation de ces règles les propulsera tous deux dans une aventure brutale à travers des rues claires-obscures haïtiennes. Doté d’une technique étonnante, le film est riche en thèmes et en culture, et met le ton dès le début avec une citation de Legba, une divinité vaudou dont le rôle est de lier les mondes visible et invisible. Legba est traditionnellement le gardien de la croisée des chemins comme Charon gardait les Enfers dans la mythologie grecque. Legba est aussi une divinité imprévisible (comme le dieu sumérien Enki), naviguant différents états : entre jour et nuit, entre vie et mort, entre paix et violence. La citation biblique plaquée sur la vitre de voiture des deux acolytes évoque le thème principal du film :
1 Timothée 6:10
Car l’amour de l’argent est une racine de tous les maux ; et quelques-uns, en étant possédés, se sont égarés loin de la foi, et se sont jetés eux-mêmes dans bien des tourments.
Les deux acolytes en acceptant leur mission pour un gain monétaire se sont éloignés du droit chemin. Et par chaque transgression, ils forgent une destinée parallèle, un monde sombre et dangereux, violent et aliénant, tout comme chaque haïtien forge par ses actions sa communauté et son pays. Si nous sacrifions amis et famille pour un gain monétaire, si assez d’Haïtiens en font de même, alors nous évoluons dans un enfer de notre propre création.
Et Kafou évoque habilement cette idée d’enfer ou de purgatoire, non loin de U-Turn (Oliver Stone, 1997) ou In Bruges (Martin McDonagh, 2008). Les références cinématographiques sont nombreuses : le film s’inspire des premières œuvres de Tarantino comme Reservoir Dogs (1992) et Pulp Fiction (1994). On retrouve Tarantino dans l’éclectisme et l’utilisation de la sélection musicale du film, la scène d’ouverture, les échanges dans la voiture, la représentation de la violence, entre autres. On y retrouve aussi l’influence de films d’action comme Taxi (Gérard Pirès, 1998) ou Bad Boys (Michael Bay, 1995) et de comédies noires comme Fargo (Joel et Ethan Coen, 1996) et Un Plan Simple (Sam Raimi, 1998). Il faut remarquer que ces films sont presque tous issus des années ’90, les cinéastes de Kafou ont été visiblement influencés par le cinéma hollywoodien de cette décennie. Il y a beaucoup à voir et à discuter dans Kafou, surtout pour ceux qui connaissent la culture et la réalité haïtienne de ces trente dernières années. Voyons ce film comme un pas vers le droit chemin, celui qui s’éloigne de l’Argent et redéfinit la Vertu haïtienne à travers sa culture.
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