Je procèderai ici à un exercice d’observation de l’utilisation de l’espace dans le film M le Maudit de Fritz Lang.
On remarque plusieurs éléments en rapport à l’espace dans le film. Au début du film, lorsque les enfants jouent et l’un d’entre eux chante, la caméra effectue un mouvement vers la gauche, puis vers le haut en avançant pour révéler l’une des habitantes de l’immeuble portant des linges dans un panier. Ce mouvement nous permet d’apprécier l’espace en trois dimensions de la diégèse malgré le fait que le film soit projeté sur un espace en deux dimensions, l’espace de l’écran.
Lorsque Franz parle au détective Lohmann de l’endroit où est détenu Hans Beckert, on nous montre des plans de vieilles bâtisses, représentant la distillerie Kuntz et Levy. Nous entrons ensuite à l’intérieur de l’immeuble et suivons deux criminels se chargeant d’apporter Beckert à son jugement. Nous sommes ici confrontés à un procédé similaire à l’expérience de Koulechov, mettant en évidence ce qu’il appelait la « géographie créatrice ». La scène donne l’impression d’une parfaite unité de lieu, ce qui n’est pas forcément le cas. Les plans peuvent avoir été tournés à des lieux différents, mais leur juxtaposition donne l’illusion d’homogénéité.
Lorsque Hans Beckert (Peter Lorre) rencontre Elsie Beckmann, son ombre est présente dans le champ tandis qu’il est hors champ. La jeune fille, Elsie Beckmann, se tourne vers lui. Fritz Lang utilise ici le champ pour nous cacher l’identité du pédophile, ce qui augmente notre suspense.
Le détective Lohmann s’adresse en hors-champ au corps policier pour leur dire qu’ils doivent s’informer auprès des asiles et institutions carcérales sur leurs récents relâchés. Nous ne le voyons pas, mais nous savons qu’il est présent dans la diégèse puisque tous les policiers présents se tournent vers lui.
Lorsque le voleur Franz, pris dans la salle des coffres-forts, demande qu’on lui envoie une échelle, nous apercevons l’envoi de l’échelle à corde, et non la personne l’ayant envoyé. Nous découvrons en même temps que Franz, après qu’il ait monté l’échelle pour sortir de la salle, que c’est la police et non ses complices qui l’ont aidé.
Rendu au poste de police, Franz veut savoir pourquoi il a été amené au département des homicides. Il fixe Lohmann, au début hors champ, s’avance vers lui et entre progressivement dans le champ de la caméra. Franz le suit des yeux jusqu’à son entrée dans le champ.
Lorsque l’aveugle identifie Hans Beckert, seule sa main est présente dans le champ; le reste est en hors-champ. Nous ne savons pas immédiatement à qui appartient cette main, comme Peter Lorre, jusqu’à ce qu’il se retourne et l’identifie en même temps que nous.
La même chose se produit lorsque l’« avocat » de Hans Beckert se présente à lui. Il lui tape l’épaule, sa main visible, le reste de son corps hors champ. Nous le découvrons en même temps que Hans Beckert.
Lorsque tous les criminels se lèvent et foncent sur Beckert pour le tuer, ils s’arrêtent subitement et lèvent les mains lentement. Nous ne voyons pas ce qu’ils voient, mais devinons que c’est la police, se tenant en hors-champ. Dans cette scène, la police est indistincte. Le policier qui pose sa main sur l’épaule de Lorre dans la même scène pourrait être n’importe quel policier, mais nous soupçonnons que c’est Lohmann.
On remarque que beaucoup des utilisations de l’espace dans M le Maudit servent à garder le spectateur dans l’obscurité, insérer la surprise et le suspense dans la narration.
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